L’Egosystème

E n route, mauvaise troupe !

En route, mauvaise troupe !
Partez, mes enfants perdus !
Ces loisirs vous étaient dus :
La Chimère tend sa croupe.
[…]
[Extrait de Prologue de Paul Verlaine]

Il est communément admis que L’égosystème est un groupe de communautés biologiques qui se partagent un milieu physique. Cet ensemble formé par une association d’êtres vivants constitue un réseau d’interdépendances et de connexions permettant les échanges, le maintien et le développement de la vie. Ainsi, cette unité fonctionnelle évolue en permanence au travers des flux et des déplacements grâce à une grande capacité d’adaptation tout en modifiant notablement le milieu qui l’accueille.
Le milieu qui nous occupe ici est vaste – et qui plus est moderne. Des conditions plus que favorables pour célébrer les 10 ans d’activités de ce biotope qu’est La Station.
On distingue plusieurs façons de procéder, la première se caractérise par la convocation d’un commissaire, cette personne chargée à titre temporaire de fonctions relatives à un objet particulier. Commissionné parfois par une autorité supérieure afin d’exécuter en son nom des fonctions précises ou bien choisi par un ensemble d’individus pour les représenter, il est de plus en plus souvent seul aux avant-postes voire le seul exposé laissant la troupe en arrière-garde.
À quelques exceptions près.
En face, l’on peut observer plusieurs individus considérés comme formant un ensemble caractérisé par des traits, des comportements communs : un collectif. Cet ensemble de personnes se déplacent et agissent de concert dans un même lieu dans le but ostensible de faire œuvre commune. Un chercheur Italien – le Professeur Itterole – décrit parfaitement les limites de ce type de position dans son ouvrage “L’homme modulaire de la société multi-réseau“ : “…/… Les membres modularisés de cette société multi-réseau sont donc liés à l’idée d’appartenance à un groupe et à un lieu. Ils ne sont jamais impliqués à fond. Ils se projettent aux différents carrefours du monde extérieur. Ils se sentent liés à une idée diffuse et non spécifique et se refusent donc à être porteurs d’une proposition idéologique forte…/…“. Les limites généralement constatées à ce type de process est un résultat perturber par des crises de solipsisme aiguë où la cause commune devient alors le champ de bataille des egos laissant passer en premier plan les aspects quantitatifs et hiérarchiques, une façon de laver ses jeans sales en public. Triste topique.
Ce qui nous concerne ici tend plus vraisemblablement vers l’expérimentation de la concertation. Peu enclin aux grands écarts, cette proposition tente de se loger dans les interstices crées par les dérives des deux extrêmes décrit plus haut. Non pas en les refusant catégoriquement – cette alternative serait peu réaliste professionnellement – mais en les compensant par ce type de production. Se constituer en agents de liaison, en alter ego favorables aux intérêts mutuels et ce, témoignant de la proximité ou des différences de chaque démarche, l’exposition couvre ainsi au plus près les desseins des artistes qui la composent et en exhibe le juste reflet.
Généreusement accueillis par le Confort Moderne, la capacité de celui-ci nous autorise même à en modifier les contours et les circulations de ses salles en rebâtissant en son sein les murs de La Station grandeur nature. Présence fantomatique mais néanmoins réelle d’un édifice érigé à nouveau, en devenant le dedans du dedans, ces cimaises de l’architecture d’origine ainsi disposées soulignent le parcours labyrinthique du projet. Ces méandres et recoins permettent une cohabitation entre l’intime et le collectif, le singulier et le hors du commun. Prêts à occuper ces espaces entés, non pas ressortis d’un passé regretté ou poussant à des vaticinations déplacées, ils donnent une impulsion nouvelle sur le travail que chacun veut y faire. Débaroulons, alors.
Il est donc question ici d’une exposition collective, mais pas seulement. Il s’agit aussi de rendre compte de tous les champs d’exploration sur lesquels La Station s’est aventurée pendant ces 10 années. Cette occasion saisie par Yann Chevallier d’apporter un regard neuf sur ce parcours, d’y puiser matière à créer une manifestation fidèle à l’image qu’il en a perçue, a permis à ce que nous élaborions collégialement ce concentré d’expérimentation. Toujours curieux de voir si ça joue. Ce qui a conduit à la sélection de ces artistes est motivé également par une unité de lieu, de temps et d’espace – ce n’est assurément pas une représentation exhaustive des protagonistes depuis son origine ; ni une compilation des meilleurs moments de… ; encore moins une commémoration ni un hommage.
Par cet assemblage, il serait plus juste de parler d’un moment donné, d’un instantané tourné autant vers le chemin parcouru que celui encore à découvrir, reflétant cette volonté de ne pas réduire les genres ni de circonscrire les pistes. Il y a cette jubilation de rapprocher des pratiques en apparence éloignées ou étrangères dans un objet commun – surtout pas univoque – par l’hypothèse de la possibilité d’une multitude de points de vue. Cet objet, l’exposition, n’est pas le produit de chaque artistes mais la somme de tous.
La persistance de La Station est due pour beaucoup aux lieux qu’elle a occupés et principalement le premier – l’ancienne station-service [dans le contexte niçois, avoir un espace conséquent autorisant des artistes à y faire leur travail tout en ayant la possibilité d’en inviter d’autres, d’un milieu externe, à venir montrer le leur est un chose précieuse et rare ; une condition essentielle des plus fragile]. Elle est due également aux personnes qui l’ont habitée, nourrie, abreuvée ; ainsi que celles qui s’y sont posée le temps d’une exposition, d’une idée.
C’est par là même, un corpus en évolution naturelle, en constante redéfinition… La Station en mouvement incessant… un paradoxe finalement.

Cédric Teisseire 2007

Exposition du 30 septembre au 17 décembre 2006