Plein_Ecran

Plein_Ecran est une exposition réalisée dans le cadre du Forum MOVIMENTA

En synergie avec le Festival d’Art Vidéo OVNi

Commissariat : Benjamin Laugier (NMNM) et Mathilde Roman

Une co-production de L’ECLAT et La Station / avec le soutien de la Villa Arson

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Avec les œuvres de Clément COGITORE, Mathieu COPELAND, EL PAQUETE (Fondation Ludwig, Cuba), Alban HAJDINAJ, Pascal LIÈVRE, Rachel MACLEAN, Shana MOULTON, Ken OKIISHI, Laure PROUVOST, Catherine RADOSA, Jon RAFMAN, Peter SCOTT, Heimo ZOBERNIG

Support de projection ou de diffusion, l’écran est devenu un outil présent dans toutes les sphères de la vie quotidienne. Au-delà de la récurrence d’un motif, il est un format encadrant la construction du réel, de ses représentations comme de ses expériences sensibles. L’image envahit l’espace physique, architectural, urbain, et les artistes s’en emparent pour réfléchir à sa perception incarnée, à sa participation au paysage intime et collectif. Ce n’est pas tant à une critique d’une société de l’image que nous engagent les œuvres de l’exposition qu’à une réflexion sur la fictionnalisation inhérente au regard, et aux perspectives socio-politiques qui s’en dégagent. Le cinéma, la télévision, internet, et tous les outils numériques associés à leur utilisation ont créé des modalités de narration de soi et du monde, produit de nouvelles écritures où le geste a une place centrale. Rejouant en la déplaçant l’histoire de la peinture comme cadre et fenêtre, l’écran est investi dans sa capacité à mettre en circulation des états séparés, à être le lieu du débordement et du recouvrement. Le flux incessant du virtuel est hanté par la disparition de ses données et invente en permanence des nouvelles modalités de gestion d’archivage. En réponse à ces abîmes, les images ici s’ancrent dans le lieu, s’adressent au spectateur, à son point de vue, à sa mémoire personnelle et collective, à ses déambulations. Téléphone au bout du bras filmant un spectacle, doigt traçant le nom de féministes dans un écran de paillettes sombres, génériques de films mis bout à bout, ces positions parmi bien d’autres interrogeant les héritages et les oublis que nos sociétés produisent en permanence.

Parcours

Commencer par la fin et une compilation de génériques de films (Film Titel Video, 1997) introduit de facto les nombreux mécanismes de digestion et d’esthétisation de l’industrie audiovisuelle tout comme la composition de trois écrans de projection, (Untitled, 2005) en serait son pendant abstractisant dans le travail de Heimo Zobernig.

Les écrans de téléphones portables que filme Clément Cogitore dans Elégies (2014) sont quant à eux les témoins d’une scène hors champ que les vers de RM Rilke viennent sous-titrer. Une « liturgie numérique » dans laquelle le cinéaste entretient, comme dans le reste de ses productions, un certain rapport au sacré.

Picture City II (2016) prend comme point de départ deux films, Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976) et Sex in the City (Darren Star, 1998-2004), qui ont pour point commun de se passer à New York. Pourtant l’image de NYC dans ces films est aux antipodes, témoignant de son évolution réelle mais aussi de l’imaginaire qui lui est associé. Par un dispositif de double projection, Peter Scott fait de l’écran l’espace de la rencontre entre ces deux films, et interroge la construction du réel.

Veille Extinction, 2016. Invitée en résidence à Beaugency, petite ville paisible proche d’Orléans et voisine d’une centrale nucléaire, Catherine Radosa est marquée par l’impact dans les débats publics de la décision récente de la municipalité d’arrêter l’éclairage public à minuit. Par un cadrage et un montage symptomatique des images de caméra de surveillance, elle interroge nos représentations de l’espace urbain de nuit, et y introduit sa présence discrète.

Dans L’Exposition d’un Film Mathieu Copeland invite une quinzaine d’artistes à faire d’une exposition un film ,le film d’une exposition ou encore un film exposé. Questionnant systématiquement les formats de l’exposition, Copeland offre ici à voir les affiches réalisées par les artistes pour ce projet, dont la projection aura eu lieu le 3 Décembre au Cinéma de Beaulieu-sur-mer.

Dans Break up (2015), Alban Hajdinaj, artiste albanais, soulève les différentes strates de photographies familiales qui recouvrent un cadre qui appartenait à sa grand-mère, décédée en 2001. Il découvre ainsi un portrait d’Enver Hoxha, dictateur communiste de l’Albanie jusqu’en 1985, qui était la photographie originellement encadrée. Une manière de réfléchir au recouvrement de la mémoire politique et aux relations entre l’intime et le collectif.

La série d’œuvres de Ken Okiishi intitulée gesture/data rejoint les problématiques support/surfaciennes appliquées à la celles de la peinture 2.0[1] pour laquelle l’écran vaut la toile et le medium vidéo celui de la peinture. Ici les gestes de la peinture rappellent ceux de l’interactivité digitale et les images sont issues de copies VHS d’émissions TV.

Jon Rafman manipule les codes des technologies numériques, leurs mécanismes de fétichisation et de socialisation dont l’écran est à la fois élément de distanciation et d’intrusion. Dans Still Life (betamate), il compose une nature morte à partir des images les plus crues et sombres du web. “Tandis que tu regardes l’écran, il est possible de croire que tu plonges dans l’éternité », dit la voix féminine artificielle en introduction.

Depuis 2002 Shana Moulton met en scène Cynthia, son alter-ego. Personnage burlesque, hypocondriaque et dépressif, Cynthia est en réalité l’allégorie  politique des oppressions dont les femmes font encore l’objet. En 2016, on la retrouve dans Feed the soul, en plein incantation silencieuse des théories de développement personnel dont internet regorge.

Dans Monolog (2009), Laure Prouvost, artiste française appartenant à la scène anglaise, joue avec les modalités de l’autofilmage. Si on peut retrouver une proximité avec les vidéos de Vito Acconci, c’est surtout aux usages multiples de l’autofilmage dans les sphères privées qu’elle renvoie. Avec humour, elle interroge la figure du spectateur-voyeur ou la valeur de l’activité de l’artiste tout en mettant en tension la relation de l’image au cadre, du langage à sa signification, ou encore le passage de l’intérieur (l’intime) au dehors (partagé sur le virtuel).

Rachel Maclean est une jeune artiste écossaise imprégnée par l’esthétique du virtuel et qui utilise le montage et la post production pour entremêler des histoires sociales et politiques avec une vision fantastique. Germs (2013) répond à une commande de la chaîne de télévision anglaise Chanel 4. Comme à son habitude, elle y interprète tous les personnages, du stéréotype féminin au microbe sarcastique, associant les codes de la publicité avec un univers kitsch et violent pour en dénoncer les dérives et perversions.

Rêver l’obscur (2016) de Pascal Lièvre est une longue succession de plans fixes où un doigt trace attentivement les noms de figures du combat féministe dans une épaisse couche de paillettes noires. Traversant le XXème siècle, l’œuvre rend hommage à une histoire méconnue. Cette œuvre poursuit les combats de ces militantes en luttant contre l’oubli et en offrant au spectateur un moment de recul historique et géographique. Mais c’est aussi une réflexion sur l’écran, sur l’apparition et la disparition, et sur son incarnation par le tracé.

El paquete. Cuba est encore un des rares pays où l’accès à internet est très limité, car accessible seulement depuis quelques lieux, de manière coûteuse, et avec une connexion faible. En parallèle, la télévision ne propose que cinq chaînes. Mais chaque dimanche un « paquete» rassemblant des données téléchargées sur internet circule dans les rues et s’achète en toute illégalité. Il regroupe des émissions télévisuelles, des films, des publicités, y compris pour des restaurants à Cuba qui ont saisi cette occasion de se faire connaître.

La Fondation Ludwig, implantée à La Havane depuis de nombreuses années, a commencé un travail de recherche autour du Paquete, analysant son fonctionnement et ses évolutions. Le document présenté ici offre un outil de réflexion sur ce que peut représenter aujourd’hui l’accès à internet.

[1]   Painting 2.0, MUMOK, Vienne, 2016.